Par Antoine Delarue
Alors que la libre circulation du travail est un des principes fondateurs de l’UE, force est de constater que les interventions des professionnels libéraux (PL) hors de leur pays d’origine sont souvent perçues comme exceptionnelles pour ne pas dire anecdotiques ! Ceci contraste avec la couverture médiatique du travail détaché dans des secteurs comme le bâtiment, l’agriculture ou le transport routier, où il s’est généralisé et parfois imposé en devenant à la fois un remède et un défi.
Pourtant à bien y réfléchir, les opportunités d’interventions des PL hors de leur pays d’origine sont potentiellement importantes car beaucoup plus faciles à organiser que le travail détaché classique : Point n’est besoin d’une présence continue sur la durée d’un chantier comme dans le BTP, ni de constitution d’escouade comme dans les vendanges et autres activités agricoles saisonnières, ni encore d’un matériel spécifique couteux comme pour les camionneurs. Le PL peut intervenir ponctuellement, individuellement et sans équipement particulier, et dispenser son expertise de façon souple et fluide sous forme de consultation.
Or la demande d’une telle expertise par les pays européens d’accueil devrait être massive,
Tel n’est pourtant pas le cas. La mobilité intra-européenne des PL, au demeurant limitée, est une simple mobilité d’installation (dans un pays diffèrent de celui d’origine, souvent grâce à la reconnaissance des diplômes) et non de consultation (par des PL restant basés dans leur pays d’origine mais intervenant ponctuellement ou régulièrement transfrontière) : un formidable gâchis, tant économique d’utilisation des compétences des libéraux de l’UE que d’opportunité d’approfondissement du projet européen par échange et croisement d’expériences et savoir-faire de traditions diverses.
Un des freins majeur à la mobilité de consultation est l’organisation actuelle de la protection sociale où chaque PL est rattaché à celle de son pays d’établissement. Ce principe de territorialité a pu paraitre naturel pour deux raisons :
Or la mobilité de consultation dissocie le pays d’activité de celui d’établissement, ce qui, avec le principe de territorialité actuel, conduit à une double difficulté :
En résumé, le principe actuel de territorialité pour le social multiplie les incitations à rester dans son silo national alors même que le marché intérieur européen offre aux PL de vastes opportunités économiques de fourniture et croisement d’expertise.
Ce constat navrant invite à repenser un principe de territorialité du social en privilégiant le pays d’activité sur celui d’établissement, ce qui aurait le triple avantage :
Ainsi les PL opérant transfrontières cotiseraient et acquerraient des droits dans plusieurs régimes et pays, ce qui invite à préciser la révision attendue du principe de territorialité en distinguant :
En retraite, cette nécessaire clarification des droits appellera une spécialisation des régimes correspondants, avec des régimes contributifs fonctionnant en points, seule technique praticable pour cotiser sur des prestations ou consultations ponctuelles et garantissant alors l’équité contributive entre les droits des extérieurs et ceux des locaux. Elle appellera aussi sans doute un recentrage par activité et non plus par établissement, des assiettes et règles de calculs des cotisations[1].
Il s’agit donc d’un vaste chantier, débordant la simple modification d’un principe abstrait de territorialité pour toucher l’organisation même de nos régimes de retraite : Un agenda pour la future commission retraite du CEPLIS ?
[1] L’instauration par la caisse des barreaux d’une cotisation assise sur les droits de plaidoirie perçus par les avocats, français ou étrangers, plaidant en France en est un exemple