Travail détaché et Europe sociale, sortir du déni

 

Intervention aux rencontres d’Aix lors de la session sur l’avenir de l’Europe sociale et le défi posé par l’organisation actuelle du travail détaché.  

 

Le travail détaché est un défi qu’il ne faut pas sous-estimer, d’abord sur l’emploi direct mais aussi sur les régimes sociaux nationaux, car ceux-ci sont alimentés par les cotisations sur des salaires qui vont se tarir, bien que l’activité économique originelle ne soit pas délocalisée ! Dans le secteur du transport, le volume transporté en métropole par des salariés cotisants aux régimes français a ainsi diminué de 30% entre 2007 et 2014 et l’érosion atteint maintenant 10% /an, une lourde hypothèque pour les futures retraites des 650 000 affiliés du secteur ! Dans d’autres secteurs, certes plus anecdotiques, comme les vendanges, la messe est dite depuis longtemps et leurs régimes sociaux ne survivent que grâce à la solidarité nationale. C’est donc à bon droit que le thème du travail détaché s’est invité dans la campagne présidentielle !

 

Avançons quelques propositions[1] tirées de notre expérience d’ingénierie de la protection sociale :

 

  1. Il est vain de rechercher une solution globale par un accord avec les pays émetteurs de travailleurs détachés car, la libre circulation étant un des principes fondateurs de l’UE, ces pays n’accepteront de s’autolimiter qu’avec des contreparties exorbitantes qui ne dureront pas. Exporter tel quel notre modèle social est donc sans issue. Il faut préalablement le revoir pour le rendre moins exposé au dumping social sur notre territoire.
  2. Une approche par branche professionnelle, en commençant par les plus exposées, peut donner rapidement des protections tangibles en s’appuyant sur des innovations techniques concernant les prélèvements. Concrètement, il s’agit de remplacer des prélèvements en % du salaire par des prélèvements directement liés à l’activité selon des critères objectivement et facilement mesurables (trajet pour le transport, journées de travail pour les saisonniers agricoles etc.) qui seront neutres vis-à-vis du travail détaché et ne contreviendront donc pas au principe de libre circulation.
  3. Il reviendra aux branches professionnelles concernées d’arrêter et d’organiser les modalités du basculement, notamment la tarification des activités identifiées et l’acquisition de droits (point retraite) correspondante qui bénéficieront à l’ensemble des travailleurs, tant nationaux que détachés, opérant sur le territoire; cette ingénierie actuarielle parait à portée avec des régimes fonctionnant en points.

 

Les Régimes de retraite complémentaire sont ainsi des terrains d’expérimentation idéals pour initier une telle approche, certes disruptive, mais finalement seule réaliste face à l’urgence du défi de la libre circulation. Cela redonnerait un sens et une raison d’être au paritarisme de branche (qui est dangereusement vidé de sa substance par les logiques jacobines type DSN ou régime unique). A plus long terme, ces remodelages sectoriels s’articuleront aisément dans la réforme systémique de la retraite instruite par ailleurs qui prévoit un passage en points de l’ensemble des régimes contributifs.

 

[1] Cf. ; Adapter les retraites nationales à la libre circulation grâce aux points, IPSE folio n°69 décembre 2015