Travail détaché, oser l’innovation sociale

Résumé.

Le travail détaché (TD) est un défi majeur pour l’Europe sociale, qui peut paradoxalement l’amener à progresser pour peu que ses acteurs osent innover. L’exemple du transport routier illustre à la fois la nature de la menace pour tout modèle social reposant sur la répartition, mais aussi les pistes concrètes de réorganisation qui permettraient de sanctuariser le financement des retraites générées sur le territoire. Ceci ouvre la voie à des retraites européenne harmonisées conciliant les deux principes fondateurs de territorialité et de libre circulation.

 

 

Des visions du TD successivement réductrices

Autrefois perçu positivement par les pays d’accueil (contribution à l’économie du pays hôte et au développement des pays d’origine, qualités et mérites du TD), le travail détaché n’apparait plus maintenant que comme une menace pour l’emploi national, son essor étant exclusivement attribué au  « dumping » salarial et à la fraude.

La vision bienveillante du TD ignorait la menace de dumping social qu’il générait, la vision actuelle ignore sa contribution à la compétitivité économique générale et le rôle des rigidités et pesanteurs de l’emploi dans les pays utilisateurs.

 

Des propositions de régulation incertaines et au mieux palliatives

Les propositions avancées pour « réguler » le travail détaché, par des biais divers allant du contrôle au durcissement des modalités d’utilisation et à l’alignement des rémunérations, visent toutes à freiner le développement du TD. Comme la libre circulation est un principe fondateur de l’UE, leur adoption risque d’être laborieuse et couteuse car les pays émetteurs n’accepteront de s’autolimiter qu’avec des contreparties exorbitantes qui ne tiendront pas

Difficiles à mettre en œuvre, elles n’auront de plus qu’un effet palliatif tant que subsisteront les causes structurelles de l’essor du TD- décalage économique de l’est et rigidités du marché du travail à l’ouest- et surtout une organisation de la protection sociale donnant prise au dumping.

Faute de pouvoir brider le TD, il convient plutôt de comprendre l’origine et la  nature de la menace  qu’il exerce sur notre système social et d’en corriger les fragilités.

 

Le véritable défi : protéger la base économique de la répartition

Les systèmes de retraite relèvent de la compétence des états membres, leur base économique étant supposée sanctuarisée par le principe de territorialité. Or, avec l’organisation actuelle de la libre circulation, des pans entiers d’activités exercées sur le territoire peuvent échapper à tout prélèvement social. Le transport routier en est l’illustration emblématique, même si cette branche ne relève pas (encore) de la directive TD.

Ceci met mortellement en danger les régimes sociaux fonctionnant en répartition. Le rétrécissement de leur base de cotisation les amèneront à renchérir leurs taux pour préserver les retraites existantes  et donc à accentuer les facteurs de dumping social du TD, une spirale infernale !

Le problème n’est donc pas tant la substitution de travailleurs nationaux par des détachés que le tarissement induit du financement des actuels retraités et l’impuissance programmée des régimes nationaux à y faire face.

« On est chez nous ! », ce slogan électoral populaire illustre bien la perception d’une menace territorialisée et la nostalgie d’une maitrise nationale d’un destin social propre.

La parade est malaisée car l’assiette naturelle des prélèvements sociaux, à savoir le salaire du travailleur mobile ou détaché, se trouve dissociée de son lieu d’exercice.

Sauf à délibérément freiner la libre circulation, il faut repenser le mode de financement de la protection sociale en le reliant directement à l’activité et non plus au salaire

Des innovations techniques rendent ceci possible dans certains secteurs qui se trouvent aussi être parmi les plus exposés au TD.

                                                                                                                                 …/

Démonstration pour le secteur du transport routier

  • Les portails pour déterminer les contributions sociales à partir des trajets

Les portails de l’écotaxe permettent de comptabiliser aisément les trajets effectués sur le territoire national et de bâtir un prélèvement touchant tous les transporteurs, nationaux ou non.

Ce prélèvement se substituerait aux cotisations sociales des entreprises du secteur, préservant les recettes du régime de toute substitution éventuelle de travailleurs affiliés par des détachés. Les recettes ne dépendraient alors plus que du volume de transport globalement effectué sur le territoire, a priori beaucoup plus pérenne que ne serait la part effectuée par les seuls routiers français.

  • Un pointage des chauffeurs avec leurs employeurs pour attribuer les droits retraite

Pour que ce prélèvement trajet ne soit pas perçu comme une entrave à la libre circulation, il convient qu’il génère des droits retraite pour tous les transporteurs concernés, y compris donc les travailleurs détachés. En pratique, il faudra compléter le repérage des flux de camion via les portails par des  pointages périodiques (annuels ?) de leurs chauffeurs, établi en relation avec leurs employeurs, français ou étrangers, de façon à pouvoir attribuer nominativement les droits retraite correspondants. Le prélèvement trajet aura alors le statut d’une cotisation sociale, relevant juridiquement de la seule souveraineté de l’état membre correspondant au territoire traversé.

  • Un fonctionnement en points pour articuler le basculement et assurer la continuité des retraites

Cette technique est incontournable pour gérer la cohérence entre les nouveaux prélèvements à la source et les anciennes cotisations sur salaires qu’ils remplaceraient et pour organiser les nouvelles attributions de droits dans la continuité des retraites passées.

  • Le paritarisme de branche, garant de la neutralité du basculement

Techniquement délicates à mettre au point, les modalités du basculement devront bénéficier d’une légitimité incontestable pour éviter la répétition de la fronde des « bonnets rouges » intervenue lors de la mise en place avortée de l’écotaxe. Le paritarisme de branche y retrouvera un rôle décisif, tant  d’explication de la finalité des nouveaux prélèvements, que de garant de leur neutralité par rapport aux cotisations antérieures.

  

Une innovation à décliner d’urgence

La piste de réponse défrichée pour le transport routier peut être transposée dans d’autres secteurs exposés au dumping social du TD. Pour les vendanges et travaux agricoles similaires, des forfaits journaliers pourraient être systématiquement perçus sur tous les travailleurs, en échange d’exonérations de cotisations sociales pour les nationaux, avec là aussi le double avantage de pérenniser les recettes sociales globales du secteur, et donc des retraites en cours d’un côté, de résorber l’écart de coût salarial avec les TD de l’autre.

Etablir au cas par cas des prélèvements sociaux à la source de l’activité en remplacement des cotisations traditionnelles fournit ainsi une sortie par le haut à la contradiction apparente entre les principes de territorialité et de libre circulation, tous deux fondateurs de l’UE.

Cette innovation sociale parait seule à même de désamorcer une situation devenue potentiellement explosive entre pays de l’UE.

Saisir cette innovation vitale nécessite une double audace : intellectuelle d’une part de concevoir des droits sociaux non strictement liés au salaire ; sociétale d’autre part, de rétablir un paritarisme de branche en responsabilité.

 

 

 

Actualité

Site en ligne
Vous trouverez sur mon nouveau site Internet toutes les informations me concernant et celles relatives à mes passe-temps.