Réforme des retraites : un plan B pour sortir de l’impasse 

 

Par Antoine Delarue

Novembre 2019

 

La clause du grand père est une mauvaise réponse à une bonne question. Mais il existe un chemin réaliste pour atteindre les objectifs de la réforme.

La clause du (futur) grand-père mine l’essence de la répartition

 

Face à la contestation de son projet de retraite universelle, E Macron n’a fait que suivre le conseil, abondamment prodigué par d’éminents économistes parisiens, d’appliquer la clause dite du grand père. Cette recette, prétendument infaillible pour faire accepter le durcissement tarifaire d’une réforme, consiste à en épargner la fraction de la population cible ne disposant plus de la possibilité de se retourner.

Toutefois le terrain de la retraite présente deux particularismes faisant douter du succès de la potion de ces autoproclamés réformateurs experts : D’abord, le projet Delevoye ne touchant pas aux droits des retraités actuels, la clause du grand père peut être considérée comme déjà appliquée. Ensuite, l’étendre aux actifs cotisants, via une clause du « futur grand père », en change la nature car touche alors l’essence de la répartition.

Rappelons que les cotisants d’aujourd’hui n’acceptent de payer les retraites d’aujourd’hui qu’avec l’assurance que les droits virtuels qui leurs sont promis en échange seront bien honorés par les cotisants de demain. Cette garantie tombe si ces derniers se voient, seuls, appliquer de nouvelles règles plus strictes. Ils n’auront aucune raison d’honorer les promesses plus généreuses que leurs ainés se seraient unilatéralement attribuées. Ceux-ci seraient d’ailleurs bien naïfs de croire pouvoir durablement profiter d’avantages qu’ils auraient ostensiblement refusés à leurs cadets.

L’application à la retraite par répartition de la clause du (futur) grand père est donc une démarche d’apprenti sorcier, minant l’édifice tout entier!

 

Y a-t-il une alternative pour rassurer les futurs retraités sans trahir les jeunes générations ?

 

Peut-on réformer sans opérer une rupture, ici différée mais peut être inévitable, du pacte intergénérationnel ?

Une alternative préservant la continuité des règles d’attribution de droits entre actuels et futurs cotisants existe. Elle passe par une négociation, interne aux régimes concernés, des conditions de reprise des droits déjà acquis (dits au titre du passé) sachant que les nouveaux droits à acquérir à compter du basculement (dits au titre du futur) tant par les actuels que futurs cotisants suivront les mêmes nouvelles règles.

Dans le cas des régimes spéciaux, elle consiste à s’entendre sur la conversion en points des annuités déjà acquises par les actuels actifs. Cette opération, dite de cristallisation, pouvant être plus ou moins généreuse, elle risque d’hypothéquer la soutenabilité future du régime par un passif de droits reconstitués trop important. Il importe donc que la gouvernance de ces régimes (incluant ici l’entreprise employeur) soit responsabilisée par un cadrage approprié de son autonomie.

Ce cadrage pourrait comporter :

o   un délai butoir rapproché pour procéder à la cristallisation des droits du passé et basculer en fonctionnement en points,

o   un horizon de convergence relativement lointain durant lequel les régimes vertueux pourront se récompenser en servant de meilleur rendement

o   et une harmonisation des barèmes de liquidations (même âge pivot et modulations autour) assurant la lisibilité d’ensemble des droits cotisés et facilitant le calcul des retraites selon le choix de l’âge de départ.

 

A la différence du projet Delevoye actuel, ce cadrage ne comportera pas l’alignement mortifère du taux de cotisation global, simplement celui de sa répartition entre parts patronale et salariale. Ceci de façon à adapter l’effort contributif à des situations particulières comme celles des catégories dites actives qui bénéficient aujourd’hui de possibilités de départ très anticipé sans abattement. Des sur-cotisations pourront être instituées durant leur période de service actif, afin de neutraliser tout ou partie du rétablissement des abattements de droit commun. Ceci instaurera une équité contributive rigoureuse entre tous les participants, un grand pas en avant pour les régimes spéciaux !

 

Le basculement en points des régimes existants marquera ainsi une étape majeure vers la promesse présidentielle du 1 € cotisé etc., alors réalisée au sein de chacun des 42 régimes, tout en désamorçant nombre de polémiques parasitaires :

o   La farce de l’affichage avec une précision extrême (deux chiffres après la virgule !) d’un rendement (éternel ?) du régime universel alors même qu’un grand flou subsiste sur l’âge pivot, les règles de transition, l’ampleur des reconstitutions, les dérogations et exceptions annoncées, le sort des réserves etc.. sans parler des incertitudes macroéconomiques, démographiques et comportementales.

o   La nostalgie d’un calcul en trimestres, théoriquement appelé à disparaitre, mais dont on redécouvre la pertinence pour l’attribution de droits non contributifs type carrière longue, pénibilité ou minimum de pension.

 

Une compensation économique garantissant un rendement plancher du contributif

 

Sur le premier point, alors que la promesse d’un rendement systémique unique remplaçant la pluralité actuelle est techniquement et politiquement hasardeuse, l’affichage d’un rendement minimum garanti sera nécessaire pour étalonner la compensation économique à mettre en place entre les régimes maintenus durant l’horizon de convergence, afin de pallier leurs disparités de situations contributives et démographiques.

L’ARRCO a longtemps pratiqué ce mécanisme de transferts inter régimes découlant d’un fonctionnement commun en points. Comme ce rendement plancher ne préjugera pas de ceux que s’autoriseront finalement les régimes en fonction de leur possibilité et vertu, son affichage annuel ne déclenchera aucune des salves de simulations alarmistes sur « les gagnants et les perdants de la réforme » expérimentées récemment, mais suscitera plutôt une émulation positive des gouvernances responsabilisées des régimes contributifs!

 

Un principe d’égalité pour les avantages non contributifs

 

Sur le second point, le foisonnement et l’hétérogénéité inter régime des dispositifs dits de de solidarité nourrit une profonde aspiration à l’égalité de traitement pour ces avantages, qui est à distinguer de celle pour l’équité régissant les avantages contributifs, que justement le fonctionnement en point permet de garantir.

Or ces deux principes se cannibalisent partiellement du fait de l’imbrication actuelle de ces deux types d’avantages. Citons, côté dépenses, les bonifications calculées au prorata des droits cotisées, ou l’effet de seuil du taux plein pour accéder au minimum contributif, et côté recettes, les écrêtements d’attribution de droit conduisant à des cotisations versées à perte. D’où à l’arrivée, des retraites, ni équitables pour leur volet contributif, ni égales pour le non contributif, le tout dans la plus parfaite illisibilité !

 

Pour y remédier, la réforme systémique doit oser le découplage de ces deux types de droits, c’est à dire les rendre additifs (et non plus multiplicatifs) avec des financements distincts.

Le Projet Delevoye a fait un premier pas, côté recettes, en isolant une part de cotisation non attributive de droit contributif. Il reste à clarifier le volet dépense et prévoir une détermination autonome des droits « autres », liés à des situations, soit de mérite (enfants, carrière longue etc..) soit de besoin (retraite contributive insuffisante) et ce sur un principe d’égalité.

Mais comment en moduler les montants, en respectant l’esprit des avantages actuels, sans les faire dépendre des retraites contributives ? La durée cotisée calculée en trimestres dont nous avons l’habitude fournit un indicateur trans-régime à la fois pertinent et commode. Le principe d’égalité s’énoncerait alors : A situation mesurée en trimestres égale, compléments de retraite identiques !

 

Le découplage, clef d’une réforme apaisée

 

Ce découplage renouvèlerait l’architecture d’ensemble en faisant coexister une pluralité de régimes par points recentrés sur leur volet contributif d’une part, avec un régime transversal unique servant aux retraités méritants ou malchanceux des compléments étalonnés sur leur parcours en trimestres d’autre part.

La création d’un tel régime transversal de solidarité (RTS) répondrait à l’aspiration d’égalité à l’origine de la popularité initiale de la réforme, tandis que la transformation en points des régimes existants les engagera dans la non moins populaire quête de l’équité contributive, qui serait d’abord réalisée en interne puis étendue à terme par convergence.

 

Les gouvernances distinctes de ces deux étages permettront de traiter efficacement deux types de problématiques, soutenabilité à long terme de processus contributifs d’un côté, arbitrage annuel entre de multiples demandes d’assistance de l’autre, qui sont profondément orthogonales. D’où une clarification des leurs responsabilités respectives et une lisibilité systémique de leurs futures (et peut être difficiles) décisions de pilotage, une perspective bien apaisante dans le contexte actuel !

Pour aller plus loin :