Des autoroutes aux retraites, changer de schéma pour avancer 

Par Antoine Delarue ;  janvier 2017

Intervention au colloque du CFR de décembre 2016

 

L’acceptation problématique des autoroutes

La nature systémique de la réforme des retraites proposée peut s’éclairer par l’histoire de la création du réseau autoroutier. Il est maintenant dans notre pays parmi les meilleurs d’Europe. Pourtant, cette réussite n’est pas allée de soi et la nécessité d’implanter des autoroutes en site propre a été longtemps et opiniâtrement combattue.

Rappelons-nous : la France se targuait après-guerre d’avoir un magnifique réseau routier, « le plus dense d’Europe », et regardait de haut les pays voisins qui, moins bien lotis, engageaient la réalisation d’autoroutes pour canaliser l’afflux d’automobiles toujours plus nombreuses et plus puissantes.

Des autoroutes ? Point besoin chez nous ! Notre magnifique réseau routier peut faire l’affaire grâce à une invention propre à notre génie national : la route à trois voies. Tout projet d’autoroute se voyait objecter qu’il serait, pour permettre aux automobiles de se doubler, tout aussi efficace et surtout beaucoup moins couteux, d’élargir à trois voies la nationale existante.

Las, ce n’est que plusieurs hécatombes plus tard que cette fausse bonne idée a pu être écartée et notre pays se tourner résolument vers la réalisation d’un véritable maillage autoroutier.

 

Le taux plein, un combat d’arrière-garde

Le système actuel des retraites se trouve dans une situation analogue. Héritier de dispositifs longtemps en pointe dans le monde par le haut niveau de taux de remplacement assuré à ses carrières linéaires, il peine à réformer ses régimes de base les plus anciens et à utiliser systématiquement la technique des points qu’il a pourtant inventé ! La « fausse bonne idée » nourrissant cette résistance est ici celle du « taux plein » qui module le calcul par annuités selon des critères combinant âge et durée d’assurance, une modulation qui de surcroit s’impose à tous les régimes « alignés ».

Comme la troisième voie censée faciliter les doublements dans les deux sens, le taux plein vise des objectifs louables, associer contributivité et redistribution, mais opérationnellement contradictoires. A l’arrivée, le résultat est un système illisible, économiquement inéquitable et socialement inefficace, pour toutes les carrières non canoniques qui forment maintenant l’essentiel de la vie économique.

 

Un nœud à trancher pour (H2) libérer l’innovation

La nature systémique de la réforme est d’abord d’identifier ce blocage mental mortifère, et de comprendre qu’il faut traiter séparément les avantages contributifs et non contributifs car ils répondent à des logiques et des techniques différentes. Une fois admis le (H2) ~principe de ce découplage, tout devient beaucoup plus simple :

  • Les régimes existants sont conservés mais convertis en points pour garantir une équité contributive en interne qui est loin d’exister actuellement.

  • Un régime distinct est créé, pour servir les avantages non contributifs supplémentaires actuellement imbriqués avec les précédents. Ces compléments renvoient à des situations particulières jugées soit méritantes (cf. les majorations pour enfants élevés ou pour carrière longue) soit critiques (cf. les majorations pour retraite insuffisantes). La création de ce « régime transversal de solidarité » (RTS) sera l’occasion d’une remise à plat de ces avantages sur une base égalitaire (à situation identique, majoration identique !) qui n’existe pas actuellement.

 

Distinguer égalité et équité

Cette réforme peut sembler timide par rapport à la proposition de régime unique, avancée comme seul vrai remède à la pluralité et au cloisonnement des traitements et statuts. Elle est en réalité plus profonde car elle sépare dans cette aspiration égalitaire  deux niveaux dont l’imbrication actuelle empêche justement d’avancer: celle de l’égalité des montants servis qui concernera les seuls avantages non contributifs et relèvera alors bien d’un régime unique, le RTS, d’une part et celle de l’équité contributive (à cotisation égale, retraite égale ») qui est au cœur du fonctionnement en répartition d’autre part.

 

La pluralité conservée mais harmonisée et responsabilisée

A ce stade, la pluralité des régimes contributifs n’est pas gênante pourvu que chacun d’eux proscrive, grâce aux points, les passagers clandestins. Après tout, les autoroutes n’ont pas toutes la même tarification au km, mais tout le monde paye les péages ! Les autoroutes sont interconnectées et la signalisation est la même partout, ce qui fluidifie les déplacements. De même ici, divers stocks de points s’accumuleront au gré des différents régimes traversés, sans le frein de bonifications d’ancienneté renforçant les « silos » d’emplois et anachroniques pour les mutations souhaitables pour notre pays. Divers types de points coexisteront donc, au moins initialement, mais leurs présentations et conditions de liquidation seront harmonisées (mêmes âge pivot (65 ans ?) et coefficients de décote et surcote autour) de façon à faciliter un choix de départ raisonné et actuariellement neutre.

 

Enfin si les sociétés d’autoroute sont multiples, des péréquations financières existent entre elles, les tronçons les plus fréquentés finançant la réalisation de liaisons nouvelles. De même une solidarité inter régimes pourra être mise en place, garantissant un rendement minimum, à l’image de ce qu’a pratiqué l’Arrco entre ses différents régimes en points. Cette compensation économique plancher, plus intelligente que l’actuelle compensation démographique et moins démotivante que l’actuelle surcompensation entres régimes spéciaux, figurera dans la loi-cadre garantissant la pleine autonomie future des régimes. Redevenant ainsi maitres du pilotage de leurs rendements respectifs, ils pourront être les acteurs clefs de la mise au point, nécessairement décentralisée, de la réforme.

 

Préparer et organiser une cristallisation responsable dans les grands régimes

Le basculement des grands régimes existants fonctionnant en annuités (CNAV et fonctions publiques) vers un fonctionnement en points nécessitera d’arrêter dans chaque cas les règles de cristallisation en points des droits individuels acquis depuis son entrée dans le régime. Comme des reconstitutions trop généreuses plomberaient l’équilibre futur du régime, chacun d’entre eux devra trouver un arbitrage raisonnable entre les intérêts immédiats de ses proches retraités et ceux de ses cotisants, ce qui est le cœur du fonctionnement de la répartition.

 

 

Cette responsabilisation suppose qu’une période suffisante d’analyse et d’arbitrage interne soit prévue (12 à 18 mois ?) avant le basculement effectif dans le fonctionnement en points. Le précédent réussi du basculement en points du régime de base des professions libérales (650 mille personnes) souligne la faisabilité d’un tel calendrier.

 

Utiliser les points pour offrir de nouvelles flexibilités

Le fonctionnement systématique en points ouvrira de nombreuses options de flex-équité, c’est à dire de marges de choix individuels dont le paramétrage sera actuariellement neutre pour le régime. Le choix de l’âge de départ accompagné de décote ou surcote existe déjà mais est aujourd’hui pollué par l’incertitude sur l’obtention du taux plein.

Outre cette clarification, une flexibilité supplémentaire sera la retraite par étape, qui est alors particulièrement simple à mettre en œuvre : Elle consiste à pouvoir liquider une moitié de ses points, puis à cumuler cette retraite avec une activité éventuellement réduite, cotisée normalement mais procurant alors des droits nouveaux divisés par deux (par simple doublement de la valeur d’achat du point après la première liquidation). Ces flexibilités conservant l’équité contributive seront autant d’avancées qualitatives qui dédramatiseront l’éventuelle évolution de l’âge de départ (l’âge pivot ne 

sera aucunement normatif) et ouvriront la voie à des « secondes carrières » qui deviendront vite très populaires.

 

La technique des points ouvre aussi de nouvelles perspectives de solidarité conjugale. L’actuelle réversion avec proratisation selon les durées de mariage s’avère peu adaptée aux unions fragmentées qui se généralisent. Le partage ex ante des acquisitions de points, avec bonification pour compenser leur non réversibilité, pourra être proposé en option annuelle révocable, comme en Allemagne.

 

Utiliser les trimestres pour bâtir des avantages particuliers identiques….

Des autoroutes rapides et maillées ne remplacent pas le réseau traditionnel, notamment pour le dernier km. De même les avantages non contributifs gardent une place centrale dans nos retraites.

Leur regroupement dans le RTS va d’abord permettre de les refonder sur une base égalitaire.

Le RTS, qui n’aura pas à connaitre les cotisations versées, pourra être financé de façon universelle (CSG ou TVA sociale). Il s’appuiera sur le suivi des trimestres validés dans les différents régimes, qui est d’ores et déjà effectué par la CNAV.

Les avantages de type additif comme les prestations parentales pourront simplement reprendre les barèmes déjà existants dans les régimes (en pourcentage des droits contributifs), mais en l’appliquant au droit contributif moyen par trimestre servi. Ceci uniformisera la prestation à parcours (en trimestre) identique. De même l’information des trimestres suffira pour déterminer l’accès et le niveau d’un avantage explicite « carrières longues » remplaçant les exonérations d’abattements actuels.

 

… et pour prévenir la précarité liée aux trous de carrière

Par contre la transposition vers le RTS d’avantages différentiels de type minimum nécessitera la communication à ce dernier des pensions contributives servies par chacun des régimes de base traversés. Le minimum contributif de référence sera alors « tous régimes », de façon à lisser les disparités de couverture actuellement choquantes entre les salaries et les non salaries, particulièrement les autoentrepreneurs. Pour simplifier l’échange d’information, la comparaison se fera sur la base de droits à l’âge pivot, soulignant l’importance pratique de l’harmonisation des droits contributifs.

L’accès à ce filet de sécurité sera conditionné par une combinaison de durée d’assurance tous régimes et d’âge analogue à celle caractérisant le taux plein, doublé d’une possibilité de rachat de trimestre s du RTS selon un barème unique dépendant de l’âge. L’esprit des dispositifs protecteurs actuels en faveur des salariés du RG sera ainsi conservé, mais étendu à toutes les carrières comportant du non salariat ou des « trous ».

Précisément, tout indique que la future précarité en retraite proviendra non plus de la faiblesse des salaires cotisés (à laquelle l’actuel minimum contributif du RG remédie) mais des trous, c'est-à-dire de l’absence de trimestres validés pour des motifs divers (drop out ou chômage, effets de seuil pour les non-salariés, expatriation etc..). La possibilité d’effectuer des rachats préventifs de trimestre constituera la parade clef à cet égard.

Cette possibilité existe théoriquement aujourd’hui pour les salariés, mais avec un barème intégrant  la nature contributive du régime et du coup dissuasif pour les plus menacés. Les rachats au RG restent par contre paradoxalement utilisés par les cadres supérieurs bien conseillés du fait de l’effet de levier sur leurs liquidations à l’Agirc qui sont alignées sur celles du RG, une optimisation que ne compense alors aucune recette pour l’Agirc !

Le découplage systémique mettra fin à cette hypocrisie. Les rachats de trimestre RTS ne procureront que l’accès au filet de sécurité du RTS et seront du coup plus accessibles aux précaires. Mieux, le RTS pourra anticiper de manière proactive les actifs « à risque », c'est-à-dire ayant peu de trimestres validés au regard de leur âge, et leur proposer des parades adaptées (accès à la formation, condition privilégiée de rachat, etc..) selon des modalités à inventer.

 

Une refondation non traumatique des principes de contributivité et solidarité

La reforme systémique proposée conserve les régimes existants à l’exception de la CNAVTS qui .sera scindée entre un régime contributif pour les salariés et le RTS qui récupèrera le suivi des trimestres. Ces structures pourront immédiatement instruire en interne des modifications profondes de leurs règlements : fonctionnement en points et cristallisation des droits du passé dans les régimes contributifs ; calibrage des avantages non contributifs établis sur une base égalitaire, et notamment du filet de sécurité avec rachat associé pour le RTS. Une période d’environ 18 mois parait ainsi nécessaire avant le basculement dans un nouveau système répondant aux attentes d’une économie et société plus fluide, mais toujours solidaire.

 

 

 

 

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