Le régime unique en points est un serpent de mer qui revient à chaque réforme mais dont il faut d’abord mesurer l’irréalisme en l’état actuel des choses.
Le mythe du régime unique en points.
Certes, la pluralité apparente des régimes ne doit pas masquer la prépondérance de l’un d’entre eux, à savoir le régime général qui pèse près de 60% des cotisations et 53% des prestations. Selon les
tenants du régime unique en points, il suffirait de faire passer le régime général en points puis de l’amener à absorber les autres régimes.
Une première étape souvent suggérée est celle de la constitution de groupes de régimes relatifs aux différents statuts : fonction publique, salariés du privé, indépendants et régimes spéciaux.
En termes démographiques, ces regroupements sont illustrés ci-dessous pour 2012:
En supposant cette première étape franchie, on aboutirait à des cotisations et des prestations moyennes par groupe statutaire qui sont présentées ci-dessous:
Alors que les cotisations moyennes sont finalement assez proches pour tous les statuts, la disparité des prestations moyennes servies est impressionnante. Minimales pour les indépendants, elles
sont trois fois supérieures dans la fonction publique et dans les régimes spéciaux. Même si la prise en compte des durées de cotisation respectives atténuerait ces disparités, elles restent
conséquentes.
Remarquons que le rapprochement des cotisations et des prestations moyennes d’un régime ou groupe ne fournit guère d’indication normative sur son équilibre financier car celui-ci dépend par ailleurs
de sa situation démographique.
La comparaison des ratios entre cotisations moyennes et prestations moyennes est par contre pertinente, une fois redressée de la situation démographique de chaque régime. Ce calcul conduit aux « taux
de contributivité » présentés ci-dessous. Ils isolent pour les salariés les contributivités relatives aux cotisations salariales versus patronales.
Taux de contributivité par groupe de régimes (2012)
Le taux de contributivité s'apparente à un taux de couverture de la prestation moyenne par la cotisation moyenne, mais redressée du rapport démographique du régime de façon à rendre les taux
comparables.
Les disparités de contributivité sont importantes. Alors que les non salariés s'appuient quasi exclusivement (88%) sur les cotisations "salariales" qui sont aussi totales, celles-ci ne jouent qu'un
rôle beaucoup plus réduit, 4 fois moindre, dans la fonction publique et dans les régimes spéciaux. La prise en compte des cotisations patronales n'atténue que faiblement le manque de contributivité
du public. Dans les régimes spéciaux, l'alignement apparent sur le privé tient à une cotisation patronale largement supérieure en proportion. Pour la fonction publique, la faiblesse du taux de
contributivité vient de la non prise en compte ici des subventions budgétaires d’équilibre souvent appelées cotisations patronales fictives.
Ces graphiques illustrent l’énorme difficulté de franchir la seconde étape de la mise en place d’un hypothétique régime unique. D’une part les niveaux moyens de prestations varient fortement selon
les statuts, d’autre part les taux de contributivité, même redressés des facteurs démographiques, sont également très variables.
Comme les statuts où les prestations sont les meilleures sont aussi ceux où les taux de contributivité sont les plus faibles, un fonctionnement commun paraît difficilement envisageable sans rupture
majeure. Inversement si l’on veut les éviter, il faudrait d’un point de vue actuariel compenser la sous contributivité de certains régimes par l’apport de soultes tout à fait conséquentes dont on ne
voit pas d’où elles pourraient être financées.
Pas d’unification, mais une première étape favorisant la convergence à terme
Il est donc plus réaliste de considérer que le paysage multi régimes actuel persistera à moyen terme, ce qui ne signifie pas que les modes de fonctionnement et les règlements ne convergeraient pas.
La stratégie proposée ici est de distinguer deux types de droits (contributifs et non contributifs) et d’y associer la mise en place des règles de coexistence des différents régimes existants, pour
justement induire une double convergence :
Dans un premier temps, la réforme proposée viserait à promouvoir l’équité contributive intra régimes d’une part (à cotisations égales, retraites égales), et, pour des raisons de continuité avec
l’existant4, l’égalité intra régimes du non contributif d’autre part.
Dans un deuxième temps, une fois les paramètres de contributivité et de non contributivité de chaque régime explicités et mesurés, il y aura une pression naturelle à l’harmonisation inter régime du
non contributif dans la mesure où son financement sera mutualisé. Pour le contributif qui sera à charge de régimes autonomes, la comparabilité de leur performance créera une dynamique d’émulation
concernant leur pérennité et attractivité pour les jeunes générations.
Une réforme systémique découplant le contributif et le non contributif
Cette réforme s’articulerait autour de deux axes :
Les différents droits évoqués relèvent d’une logique de financement distincte. Les premiers, les droits contributifs, sont directement liés aux cotisations. Les droits non contributifs, que l’on
pourrait même qualifier d’avantages non contributifs sont liés à la situation familiale, le niveau de revenu, la durée de carrière, etc. Ces avantages, socialement légitimes sont du domaine de la
solidarité et viennent généralement augmenter les droits contributifs.
Cette clarification facilitera le rééquilibrage technique de l’ensemble en différentiant les niveaux, nationaux pour le non contributif et socio professionnels pour le contributif.
Concrètement, la pluralité des régimes existants serait maintenue, ceux-ci se concentrant sur les aspects contributifs des retraites et étant appelés à fonctionner en points sous des règles
harmonisées (droits exprimés avec le même âge pivot - 65 ans par exemple - et avec des coefficients de décote et surcote communs et proches de la neutralité actuarielle).
Modalités organisationnelles
La CNVATS serait scindée en deux parties :
Les régimes existants basculeront progressivement le service de leurs avantages non contributifs vers le RTS pour se concentrer exclusivement sur le service de leurs avantages directement liés aux cotisations reçues.
Les avantages non contributifs gérés par le RTS comprendraient notamment :
La création du RTS, régime distinct des différents régimes contributifs et disposant d’un financement autonome, manifestera l’égalité de traitement en matière d’avantages non contributifs tandis
que le fonctionnement en points des régimes contributifs manifestera leur équité contributive intra-régime.
En ce qui concerne les carrières pénibles, l’hétérogénéité et l’évolutivité des situations rend difficile toute modulation des avantages retraites proprement dit. Par contre, la pénibilité pourrait
être très facilement compensée par le versement d’un capital à la liquidation de la retraite, qui serait, tout comme les IFC actuels, provisionné par l’entreprise6 selon des règles de calcul établies
et tenant compte des années de pénibilité. Les niveaux d’indemnité pénibilité feraient l’objet d’une discussion avec les partenaires sociaux.
La réorganisation ci-dessus appelle les précisions suivantes :
Les avantages de la réforme:
D’abord, le découplage du système de retraite existant concilie les aspirations à :
Ensuite, le découplage simplifiera considérablement l’administration des droits retraites, et notamment le processus de liquidation. La comparaison du processus de liquidation dans le système actuel et dans le système découplé figure en annexe. A la grande différence de la situation actuelle, le cotisant n’aura en effet plus que deux types d’interlocuteurs : le(s) régime(s) contributif(s) dans lequel (lesquels) il a cotisé d’une part et le RTS pour les aspects non contributifs liés à sa situation ou à son parcours, d’autre part. De plus, chacun de ces régimes pourra calculer ses prestations à servir, et donc expertiser sa situation de façon autonome.
Pour le futur retraité, le calcul de sa retraite sera largement simplifié car rendu additif, alors qu’aujourd’hui de nombreux avantages non contributifs sont multiplicatifs, c’est-à-dire de la forme
Retraite x (1+Avantages). Cet aspect multiplicatif engendre une interdépendance dans la détermination des droits. C’est la principale source de complexité et d’effets d’aubaine associés qui polluent
le système actuel.
Avec le découplage des régimes, la formule multiplicative est remplacée par une formule additive beaucoup plus simple Retraite + Avantages.
Dans le cas des poly-affiliés, comme seul l’âge de départ serait pris en compte à la liquidation, les différentes retraites contributives propres à chaque régime traversé peuvent être calculées de
manière autonome et transmises séparément. Il suffit alors de les additionner.
Enfin, le découplage facilitera le rééquilibrage technique de l’ensemble à un double titre :
L’essentiel de la réforme consistera à :
Définir l’âge pivot et les coefficients de décote et surcote s’appliquant aux différents régimes contributifs obligatoires. Il faudra ensuite convenir du rendement technique de référence utilisé pour
la future compensation économique inter-régimes ;
Déterminer les niveaux des avantages non contributifs pris en charge par le RTS : quel minima de pension? Quelle compensation carrière longue ou pénibilité? Quels avantages familiaux? Etc.
Arrêter en conséquence le financement du RTS en dosant la partie relevant du redéploiement d’une partie des cotisations des régimes et de l’adaptation du mécanisme de compensation démographique (pour
la prise en charge des minima) et celle relevant de la solidarité nationale (CSG, taxes affectées ou redéploiement de l’assurance chômage par exemple).
Une orientation prometteuse, mais de nombreux défis techniques
Cette réforme systémique comporte de nombreux défis techniques tels que :
Transformation de la CNAV en points
Indépendamment des aspects DATR qui seront pris en charge par le RTS, la CNAV fonctionne actuellement en annuités selon des modalités qui s’écartent à bien des égards de l’équité contributive que
garantira pour le futur le mécanisme d’acquisition par points.
Se pose cependant le problème de l’estimation des droits déjà acquis au titre du passé par les participants.
Pour les droits déjà liquidés, leur conversion en points ne pose pas de problèmes.
Par contre, les droits non liquidés des actifs devront eux aussi être cristallisés dans un stock de points affectés à chacun des participants. Même si les calculs individuels ne sont pas achevés au
moment du basculement, les modalités de cette reconstitution devront être arrêtées à partir des informations individuelles recueillies dans le cadre d’un fonctionnement de nature différente (en
annuités).
La cristallisation des droits déjà acquis peut se faire de deux différentes manières :
Cette conversion ne peut être purement mécanique et ouvre certaines marges d’interprétation. La tentation sera alors d’être « généreux » pour éviter tout litige et favoriser l’acceptation de la réforme. Il faut toutefois voir que cette générosité a une contrepartie en matière du rendement que pourra pratiquer le régime à moyen terme. Il y aura donc un arbitrage politique à assumer entre la générosité immédiate du régime et son attractivité pour les futurs cotisants.
Cette solution a l’avantage de ne pas fixer de règles de conversion, par contre c’est la méthode structurelle la plus contraignante et onéreuse avec la coexistence de deux système sur une longue
période (extinction de la population active à l’ancien régime).
Des simulations devraient permettre d’éclairer les termes de cet arbitrage si nous arrivons à obtenir des services de la CNAV les informations nécessaires.
En tout état de cause, la mise en évidence de cet arbitrage constituera un élément important de la pédagogie tant de la réforme que du pilotage futur du système qui enrichira utilement la
problématique forte (mais réductrice et épuisée?) de l’abaque du COR.
Transformation des régimes statutaires (fonction publique et RS) en points
Elle se ferait selon les modalités analogues à celles du régime général avec cristallisation des droits jugés acquis. Les modalités techniques seraient différentes de celles de la CNAV pour deux
raisons principales:
Dans les régimes spéciaux, le traitement des bonifications d’annuité liées au service actif est un autre particularisme qu’il faudra traiter mais qui relève à priori du non contributif.
Recensement et harmonisation des avantages non contributifs
Ceci constitue un volet important d’études techniques à mener en collaboration avec les différents régimes.
Un système auto-adaptable
Une des vertus prêtées aux comptes notionnels est l’aspect stabilisateur automatique des règles de fonctionnement qui s’auto corrigeraient en fonction du contexte démographique et économique.
Indépendamment de savoir si ces vertus sont exagérées ou non, il est intéressant de voir que la réforme systémique avancée va profondément améliorer le pilotage de l’ensemble des régimes.
Pour ce qui concerne les aspects contributifs qui relèveraient de multiples régimes en points autonomes ceux-ci auront à affronter les défis d’une maturation démographique d’une part ou de
fluctuation de leur base économique d’autre part.
Le cadre dit de la répartition provisionnée leur donne les outils permettant d’affronter ces risques en arbitrant au mieux entre hausse de cotisation, revalorisation des pensions et rendement affiché
à moyen terme qui mesure l’attractivité du régime pour les jeunes générations. L’autonomie de ces régimes conditionnera et poussera aux adaptations décentralisées nécessaires bien plus surement qu’un
mécanisme stabilisateur uniforme prétendument automatique.
Après la répartition provisionnée pour les aspects contributifs, les avantages non contributifs seront quand à eux gérés en répartition pure par un régime transversal unique (RTS) qui disposera d’une
ressource nationale telle que la CSG. Le pilotage s’apparentera à celui du suivi des différentes familles d’avantages non contributifs : avantages familiaux, minimum vieillesse, carrières longues,
pénibilité, etc. sous une contrainte commune de financement. Il y aura donc d’abord un suivi concerté des évolutions socio-économiques potentiellement génératrices de ces avantages, puis un arbitrage
permanent sur les objectifs, les niveaux et les modalités d’attributions de ces avantages.
Là où le contributif passe par une gestion décentralisée, les avantages non contributifs relèvent d’un système centralisé qui reflète les objectifs sociétaux et une contrainte macro économique
explicitement assumés.
En résumé, le système de retraite français est confronté à trois défis :
Par ailleurs, la dégradation technique annoncée (dans le 11ème rapport du COR) impose soit un durcissement (nouvelle révision) des paramètres arrêtés en 2003 et 2010 avec un impact aléatoire et
une complexité accrue soit une véritable réforme systémique.
La réforme systémique proposée ici affronte les trois défis évoqués. Elle s’appuie sur une architecture doublement incitatrice à la convergence, du pilotage des aspects contributifs d’un côté, de la
détermination des niveaux non contributifs de l’autre.
Dans l’immédiat, la pluralité des régimes est conservée et leur autonomie est même renforcée ainsi que leur responsabilisation grâce au recentrage sur la gestion des seuls droits contributifs. Leur
fonctionnement en points y garantira par construction l’équité contributive et éliminera les nombreuses entorses à la neutralité actuarielle que l’enchevêtrement des règles et la confusion des
objectifs ont générées, particulièrement au régime général. Cette clarification est indispensable pour restaurer la confiance des jeunes générations dans l’avenir du système et maintenir leur
appétence à y cotiser.
Parallèlement, le regroupement des avantages non contributifs dans un régime transversal distinct manifeste d’abord une volonté d’aborder lucidement le défi du contenu et du financement de la
solidarité. Il constitue aussi une réponse à l’aspiration à une égalité de traitement intra et inter régimes. Les avantages servis s’appuieront sur la seule connaissance des durées cotisées dans les
régimes traversés et de la retraite contributive moyenne servie dans les régimes correspondants. Ceci permettra de s’inscrire dans la continuité des pratiques de solidarité existantes tout en
introduisant un premier niveau d’égalité puisqu’à parcours inter régimes égal (en nombre successif de trimestres), les avantages familiaux, de carrière ou autres seront alors
identiques.