La réforme systémique des retraites a pour principe d’organisation la séparation les avantages contributifs et non contributifs. Les régimes existants sont recentrés sur leur volet contributif avec une équité garantie par un fonctionnement en points. Leurs volets non contributifs sont transférés à un « régime transversal de solidarité » (RTS), avec un financement distinct assurant l’égalité de traitement de ces avantages.
La CNAV serait ainsi scindée en deux : un régime contributif pour les travailleurs salariés du privé fonctionnant en points et le RTS suivant les évolutions globales des trimestres, cotisés dans les différents régimes ou validés pour situations particulières, et distribuant les avantages non contributifs correspondants. La retraite finale serait l’addition des retraites contributives acquises dans les différents régimes traversés et d’un complément éventuel attribué par le RTS.
Cette architecture est loin de laisser la solidarité cantonnée au seul RTS. Bien au contraire, elle clarifie et dynamise les différentes solidarités présentes en retraite, qui sont de type intergénérationnelle, familiale, professionnelle, interprofessionnelle, et intra générationnelle.
Cette solidarité en est le coeur même du système de retraite par répartition. Pour qu'elle s’exerce à de hauts niveaux de transferts, deux conditions doivent être réunies : la pérennité de la base contributive et l’équité contributive. La première est satisfaite par l’obligation de cotiser. La seconde suppose que le principe "à cotisations égales, retraites égales" soit respecté, ce qui ne l'est guère dans les faits et qu'un système par points pourrait restaurer.
Il contraste ainsi avec la complexité du calcul de la retraite de base actuelle, car sa nature contributive y est atténuée par de la solidarité intra générationnelle. La technique des annuités qui est utilisée introduit en effet une deuxième unité de droits, le trimestre (cotisé ou validé), dont l’accumulation détermine, via la durée d’assurance, l’âge dit du taux plein, c'est-à-dire de la liquidation sans abattement, mais aussi de l’accès au minimum contributif qui majore souvent largement la retraite initiale. La combinatoire des deux unités (durées et montants) ajoute d’autres ruptures de l’équité contributive via des effets de seuil et d’écrêtement que les réformes successives ont rendu de surcroit évolutifs. La promesse de retraite de base n’a aujourd’hui plus guère de lisibilité.et s’éloigne dangereusement de la logique contributive indispensable à l’adhésion des générations futures. Il en va de même pour les régimes complémentaires qui, par suivisme sur les règles de liquidation, ont perdu leur autonomie stratégique.
La séparation du régime général en deux permet de supprimer toute référence au trimestre dans son volet contributif fonctionnant en points, ce qui ouvre la voie à une harmonisation des conditions de liquidation pour l’ensemble des régimes contributifs en points.
Une retraite personnalisable selon des règles simples, partagées par les régimes
La nouvelle architecture permet de libérer le potentiel des points pour inventer la retraite flexible de demain autour de règles partagées. Ce serait d’abord la détermination d’un âge pivot (65 ou 67 ans par exemple) où le point est servi à sa valeur de service. Pour les liquidations antérieures ou postérieures à ce pivot, des abattements ou majorations sont appliqués à la valeur servie afin de neutraliser l’allongement ou la diminution de l’espérance de retraite. Cette modulation autour de l’âge pivot reprend la modulation actuelle autour de l’âge du taux plein, l’incertitude et l’iniquité associée à sa détermination en moins.
Le RTS conservera au contraire une comptabilité des droits en trimestres avec des règles de liquidations idoines،
mais, comme on le verra, il exprimera d’autres formes de solidarité.
La flexibilité dans l’équité s’étend à une autre dimension quasiment inexplorée : la retraite par étape. Les cotisants pourront, dès 5 ou 7 ans avant l’âge pivot, procéder à une liquidation partielle, de 40 à 60% de leurs points par exemple, avec l’abattement correspondant à leur âge de préretraite, puis liquider plus tard la seconde part de leurs droits. Les droits supplémentaires éventuellement acquis dans l’intervalle seront calculés normalement, mais en doublant la valeur d’achat du point4. Cette règle simple permet de sortir du dilemme entre les deux extrêmes que sont l’absence de droits nouveaux ou leur obtention «pleine» et aussi de clarifier la question du cumul emploi retraite
L’enjeu de cette « flexéquité » partagée est important. Comme le montrent des comparaisons internationales, la satisfaction des retraités ne se mesure pas au seul taux de remplacement. En dépit de pensions inférieures aux nôtres, les canadiens sont très satisfaits de leur retraite, souvent associée par eux au démarrage d’une seconde carrière, plus choisie. La retraite par étape en points donnera une lisibilité économique à de telles réorientations.
Cette solidarité s’exprime d’abord par des avantages parentaux liés aux enfants et censés promouvoir la natalité comme les bonifications pour maternité ou congé parental, ou les majorations de retraite pour avoir élevé trois enfants. Il s’y ajoute une solidarité proprement conjugale qui prévoit la réversion au bénéfice du conjoint survivant5 d’une partie de la retraite directe. Les dispositions actuelles sont hétérogènes selon les régimes, avec des avantages parentaux bien présents dans les régimes de base, notamment les régimes spéciaux, et une réversion substantielle dans les régimes complémentaires mais quasi absente au régime général.
La nouvelle architecture permet de clarifier les objectifs et logiques de financement en distinguant le service par le RTS des avantages parentaux selon un principe d’égalité de traitement, et le maintien au sein des différents régimes contributifs d’une solidarité conjugale à l’équité restaurée.
Les règles de réversions actuelles font de nombreuses entorses à l’équité contributive. L’octroi de pension de réversion repose en effet sur la présence de conjoints mariés lors du décès du retraité, ce qui d’emblée discrimine l’éligibilité des cotisants. Conçues pour couvrir des couples mono actifs et mariés d’âges voisins, modèle autrefois dominant, ces règles sont peu adaptées aux couples biactifs, où se diversifient et se fragmentent les unions conjugales.
La technique des points apporte là encore une réponse simple, à savoir le partage entre conjoints des acquisitions de droits propres. Les points partagés (sur option annuelle) alimentent le stock des droits que chaque conjoint liquide le moment venu. Ainsi, au décès de l’un d’entre eux, le survivant bénéficie automatiquement de la moitié de la retraite globale du couple. Dans le cas de plus en plus fréquent d’unions fragmentées, le partage ex ante des droits propres assure une couverture immédiate et non contentieuse des ex conjoints6.
Assurer l’égalité des avantages parentaux par une valorisation des seuls trimestres
Les avantages parentaux, ne dépendant d’aucune cotisation particulière, relèvent du RTS, qui, suivant sa vocation transversale, doit assurer une égalité de traitement des retraités selon leur situation familiale. Egalité de traitement ne signifie pas uniformisation, mais plutôt égalité à parcours inter régime identique. Le RTS dispose des durées (en trimestres) validées dans chacun des régimes traversés, ce qui est la spécificité de ce régime dans l’exacte continuité de ce fait actuellement la CNAV. Il suffit dès lors de connaitre la retraite contributive moyenne par trimestre validé dans chacun des régimes pour avoir une assiette de calcul pour les avantages parentaux des retraités éligibles. Dans l’exemple de la majoration de 10% accordé aux retraités du RG ayant élevé au moins trois enfants, le rôle des trimestres est inchangé mais le jeu des salaires individuels cotisés est gommé par le recours à la retraite unitaire moyenne.
Cette réforme simplifie aussi la gestion des avantages parentaux. Le RTS n’a à prendre en compte que les trimestres traversés, qu’il connait, et croiser avec l’éligibilité parentale des intéressés. La projection de la charge globale ne nécessite aucune information nouvelle individualisée de la part des régimes contributifs7. Le RTS peut piloter ce risque en parfaite maitrise. Cet exemple montre que le découplage proposé des volets contributifs et non contributifs ne s’accompagne d’aucune complication administrative. Leur gestion respective, en points d’un côté, en trimestres de l’autre, sont en effet largement autonomes.
Une des forces du système français de retraite repose sur son articulation socio-professionnelle, son ancrage assumé dans le vécu partagé de chaque profession. Chacune d’entre elle a pu développer, à son rythme et selon des modalités de prélèvements et acquisition de droits choisies, un haut niveau de solidarité intergénérationnelle qu’il aurait été très difficile d’atteindre par une approche plus transversale.
L’exemple des travailleurs indépendants est particulièrement éclairant.
La multiplicité des régimes en cause, exploitants agricoles, commerçants, artisans, professions libérales, eux-mêmes fragmentés en 15 sections, est facilement taxée d’archaïsme gaulois par les tenants d’un régime unique qui serait « tellement plus simple ».
C’est oublier que les régimes uniques existants, dans les pays anglo-saxons notamment, opèrent à des niveaux de prélèvement très inférieurs aux nôtres et que, même dans ce cas, l’évasion sociale des indépendants y est importante.
A l'inverse, les régimes d’indépendants français combinent de hauts niveaux de prélèvements avec de bons taux de recouvrement et permet, par un puissant affectio societatis des adhérents, de neutraliser les "passagers clandestins" et d'engager des réformes, pour les régimes complémentaires, bien avant les réformes nationales de 2003 et suivantes.
L’autonomie des régimes socioprofessionnels fonctionnant en points semble ainsi suffisante pour qu’ils anticipent leurs défis démographiques ou économiques et pratiquent un pilotage responsable de leur rendement. Cette émulation vertueuse des régimes de retraites contributives éviterait le traumatisme récurrent des réformes générales imposées, tout en préservant la diversité des régimes.
Certes, la résistance farouche, menée lors des grandes grèves de 1995, par les principaux régimes spéciaux semble contredire cette espérance. Cette « irresponsabilité » doit toutefois être replacée dans son contexte d’absence d’autonomie financière réelle de ces régimes. Aux dispositifs de compensation inter régimes classiques, l’Etat a jugé bon d’ajouter un mécanisme dit de surcompensation entre les seuls régimes spéciaux et celui de la fonction publique. Le niveau de péréquation est révisable annuellement, ce qui permet de siphonner au profit de l’ensemble toute réserve financière qu’un régime pourrait chercher à se constituer. La CNRACL qui avait pu accumuler des réserves importantes a été dépouillée la première. Si cette logique globalisante peut se comprendre d’un point de vue strictement budgétaire, sa mise en oeuvre nourrit la déresponsabilisation financière de chacun des régimes participants.
Si la « surcompensation entre régimes spécifiques » représente l’exemple de mécanisme de nivellement contreproductif à éviter, le principe d’une compensation entre régimes à base professionnelle n’en reste pas moins nécessaire. Il repose sur une comptabilisation démographique annuelle des actifs et des retraités des différents régimes de base et calcule la péréquation garantissant une prestation minimale à chaque retraité « compensable », de 65 ans et plus. Le risque de déresponsabilisation est évité à la fois par la modicité de la garantie et l’exclusion des retraités précoces et des réversions dans le calcul.
Simple et robuste, la compensation dite démographique s’est imposée et a permis au « patchwork » des régimes professionnels de surmonter les effets déstabilisateurs de la salarisation massive du siècle dernier. Mais elle bute aujourd’hui sur de nouvelles mutations du travail, le temps partiel, la pluri et poly-activité etc.., qui affectent la pertinence des calculs et minent la logique initiale.
Les nombreux rapports sur ces mécanismes de compensation démographique ont tous conclu qu’il était urgent de ne rien toucher. La réforme systémique proposée change la donne car les régimes à compenser sont maintenant tous purement contributifs avec un fonctionnement en points. Une compensation économique partielle, basée sur la comparaison des rapports entre flux de points achetés et servis, devient possible. Elle détermine les transferts inter régimes leur assurant un rendement cible minimal, ce qui assure une solidarité interprofessionnelle objective entre eux, cohérente avec leurs règles internes d’équité, mais sans les déresponsabiliser puisque partielle.
Enfin les défis posés par les mutations récentes de l’organisation du travail de type Uber ou par la libre circulation des travailleurs au sein de l’union européenne mettent sur la sellette deux principes clef du système actuel: les régimes distincts et exclusifs selon le clivage salarié/non salarié et le financement par les cotisations sur le salaire ou le revenu. Reste à imaginer des régimes transverses, financés par des prélèvements plus directs pour organiser ces nouvelle solidarités objectives. Là encore, le recentrage de la solidarité professionnelle sur le contributif, par le recours aux points, s’avèrera essentiel pour élaborer ces nouvelles architectures.
Cette solidarité se distingue profondément des solidarités intergénérationnelle et interprofessionnelle, par nature contributives. Il s’agit là de renforcer, dans des situations économiques ou sociales particulières, la ou les retraites contributives servies, par un avantage additionnel indépendant des cotisations versées. Les régimes de base existants prévoient de nombreux dispositifs de ce type tels que pension minimum, avantage carrière longue, majoration parentale etc.., mais ces avantages sont souvent étroitement imbriqués avec les pensions contributives, ce qui multiplie les iniquités entre cotisants et mine la solidarité intergénérationnelle qui fonde la retraite en répartition.
La réforme systémique proposée sépare ces deux types de droits et regroupe les droits non contributifs dans un régime unique, le RTS, ce qui permet une expression beaucoup plus efficace de cette solidarité en garantissant une stricte égalité de traitement entre retraités et en diversifiant le mode de financement de la retraite. Parce ce qu’il sert des avantages sans lien avec les cotisations, le RTS peut reposer sur une assiette plus large comme la CSG ou, mieux, la TVA sociale. Ce prélèvement qui n’a pas d’effet délétère sur la compétitivité et l’emploi, serait le bienvenu au regard des taux de cotisations comparatifs de notre pays. La contrepartie logique d’un tel financement est l’égalité de traitement du non contributif entre les retraités quels que soit leur régime d’origine. Ce principe semble aussi structurant que celui de l’équité contributive pour les droits contributifs, justifiant alors le recours aux points. Il reste à le mettre en oeuvre, ce qui suppose s'appuyer sur la comptabilisation existante des trimestres.
La difficulté tient à l’hétérogénéité des avantages non contributifs accordés par les régimes, mais aussi au fréquent calcul en différentiel de ces droits. Pour la dépasser, le RTS peut suivre, comme la CNAV aujourd’hui, les trimestres cotisés et validés des futurs retraités, se faire communiquer les retraites moyennes unitaires servies par les différents régimes contributifs. Comme pour les droits parentaux, la valorisation pondérée des trimestres ainsi obtenue fournit une base pour le calcul d’avantages non contributifs contingents qui respecte l’égalité de traitement et élimine les effets d’aubaine actuels. Le pilotage de ces avantages standardisés se trouve considérablement simplifié, d’où une autonomie responsabilisante pour le RTS.
Une même approche permet de repérer les trous de carrière, qui risquent de se multiplier avec la fragmentation des parcours professionnels, et de détecter les populations potentiellement exposées à une retraite insuffisante, ce qui permettra d’imaginer des avantages additifs adaptés, mieux ciblés que le minimum contributif actuel.
Conclusion : des solidarités clarifiées et dynamisées
La refondation de notre système de retraite reste à approfondir. La présente note d’étape en rappelle le fil conducteur, le découplage des droits, et suggère une mise en place qui permet de nombreuses avancées en termes de solidarité.
La solidarité intergénérationnelle, qui est au coeur du fonctionnement en répartition, sera consolidée par la garantie d’équité contributive et lisibilité assurée par les points, et par les flexibilités offertes dans les modalités de départ en retraite, notamment la retraite par étape.
La solidarité familiale sera clarifiée entre des avantages parentaux servis par le RTS selon un principe d’égalité et une solidarité conjugale rendue plus équitable (et adaptée aux unions fragmentées) grâce à l’option de partage ex ante des droits contributifs en points.
La solidarité professionnelle sera dynamisée par le maintien des ancrages socio professionnels existants pour le contributif, libérés des aspects déresponsabilisant de la compensation inter professionnelle actuelle.
La solidarité intra générationnelle, actuellement diffuse dans tous les régimes de base, sera isolée dans un régime transversal unique, à financement universel et opérant en trimestres, qui apportera des réponses ciblées éventuellement temporaires, aux situations d’insuffisance qu’il aura détectées ou anticipées.